La Saintonge en histoire
On ne trouve traces de la construction du bâtiment actuel de la mairie qu’en 1892.
L’ancien jardinier de la commune était employé au service des derniers propriétaires du site et gardait un souvenir précis, souvent nostalgique, des lieux. Il apprit ainsi qu’une des pierres de fondation de la maison portait la date du 7 octobre 1892. Il s’agit donc de la date du lancement du chantier d’une construction qui aurait pris près d’un an. La maison de style colonial accueillit ses premiers occupants dans le courant du dernier trimestre de l’année 1893 (semble-t-il, en octobre).
La maison avait été construite pour le compte de Victor Raoulx, né le 7 mars 1842 à l’île d’Oléron en Charente Maritimes. S’installant à Tahiti, il allait devenir l’un des principaux importateurs, propriétaire d’une plantation de canne à sucre et d’une usine de transformation, ainsi que de la rhumerie de Atimaono, sur la côte ouest de l’île.
En 1892, Victor Raoulx a été nommé vice-président du conseil général et était président de la chambre de commerce et conseiller municipal de Papeete, avant de devenir premier adjoint au maire de Papeete.
Chevalier de la Légion d’honneur et officier du Mérite agricole, il sera également membre du conseil d’administration colonial à deux reprises, et notamment de 1904 à 1914 –année de sa mort.
Pour célébrer le centenaire de la mairie en 1993, la municipalité avait édité une brochure commémorative où l’on retrouvait le témoignage de Tere et Evelyne Krainer qui passèrent leur enfance à la Saintonge.
En 1955, Marcel Krainer, alors consul d’Autriche, recherche une maison pour abriter sa famille. Il jette son dévolu sur deux maisons : la maison Martin à Mahina -juste en face du motu- et l’actuelle mairie de Arue qui appartenait alors à Marie Magdeleine de Brugière de Laveau-Coupet.
Indécis, le consul décide alors de s’en remettre au choix de ses enfants : « Un choix terriblement difficile : les deux maisons, » déclarait en 1993 Tere Krainer, « ont la réputation d’être hantées ! De celle de Arue, on dit à l’époque qu’elle est habitée par un chat noir incarnant l’esprit d’un revenant. » Apeurés, en la visitant pour la première fois, les enfants découvrent, noyée dans une végétation envahissante, une bâtisse à l’abandon, sombre, délabrée, lugubre.
Mais ils finissent par la choisir tout de même, « parce que la plage était plus belle. Elle était vierge et immense. À l’époque le domaine s’étendait jusqu’au bord de la mer et s’enfonçait profondément dans la vallée et la montagne. Il n’y avait pas une seule maison alentour. »
Pepe, le jardinier de la famille entreprend aussitôt de débrousser le domaine. Les immenses caoutchoucs qui enserraient la maison dans un étau végétal sont enlevés. La maison se retrouve baignée de lumière et resplendit. Le domaine livré à la brousse retrouve un aspect propre et dégagé. Les plus beaux arbres sont conservés et mis en valeurs : manguiers, santalier, noyer (plus tard rasé pour la construction de la brigade des mutoï) et acacia rose…
Le père de Tere plante une double rangée de cyprès verts le long de l’allée principale.
La maison et son parc font très vite l’admiration de tous et inspireront peintres, photographes et cinéastes. Une copie de la maison sera même reconstituée à Bora Bora pour les besoins du tournage de « Hurricane » à la fin des années 1970.
Les enfants et leur père adorent la maison.
Jusqu’au bout, ils veilleront amoureusement à son bon état. Tere se souvenait en 1993 « du soin méticuleux avec lequel son père remplaçait régulièrement chaque planche vermoulue, chaque pièce de bois abîmée. »
Il se souvenait également de la réfugiée tchèque que la famille avait pris sous sa protection et qui faisait office de cuisinière. Elle emplissait la maison d’odeurs de cuisine et de mélodies, avec sa voix de cantatrice.
Sa mère jouait au piano dans le grand salon du rez-de-chaussée où elle donnait des leçons de piano et accompagnait une dizaine de chanteuses d’un groupe baptisée « les Frangipanes ».
Quand ils ne sont pas à la mer, les enfants courent à la rivière ou à la montagne où foisonnent pistachiers, barbadines et tamariniers. La rivière Pipine coulait alors encore dans son lit naturel au milieu d’énormes pierres. Anguilles et chevrettes foisonnent alors dans l’eau claire pour le plus grand plaisir des petits pêcheurs de la famille.
Tere vivra dans la maison familiale jusqu’en 1961 -l’année de son mariage. Célébré à demeure, sur la pelouse ombragée du parc, ce mariage sera l’occasion d’une fête somptueuse.
Tere part vivre à Huahine, mais revient régulièrement à la Saintonge où il amènera bientôt ses propres enfants.
En 1977, Evelyne est la dernière des enfants à vivre sous le toit de la maison familiale. Elle part, cette année-là, poursuivre ses études aux Etats-Unis. Son père, à la retraite, reste seul avec sa mère dans le domaine.
Mais trop vaste, celui-ci devient difficile à entretenir, mais surtout coûteux.
Depuis quelques années déjà, les Krainer ont commencé à vendre quelques parcelles de terre. Tahiti s’urbanisant vite, le domaine n’est plus l’îlot de paix qu’il était jadis. Un bowling se construit à proximité et sonne le glas de la tranquillité.
Le consul se résout à vendre, la mort dans l’âme, et contre les récriminations de ses enfants.
La commune de Arue s’en porte acquéreur en 1978 et Marcel Krainer part vivre sur les hauteurs de Mahina.
Le jardinier Pepe restera dans le domaine qu’il continuera d’entretenir pour le compte de la commune.
En 1979, Valérie Giscard d’Estaing inaugure la nouvelle mairie.
Les membres de la famille Krainer sont, bien évidemment, présents et le président de la République viendra serrer la main d’Evelyne et lui dira : « Quel beau mélange austro-tahitien vous faites…«